L'ENGAGEMENT DANS LE COUPLE : UNE VALEUR MODERNE par Edouard et Martine BERLET
Les jeunes générations tournent le dos au mariage aujourd’hui massivement, alors que si la séparation reste une épreuve psychologique, le divorce suscite bien moins de difficultés sociales et matérielles que par le passé. C’est donc le principe de l’engagement dans le couple qui est remis en cause.
Le mariage fut longtemps fondé sur l’engagement entre époux « de rester unis pour le meilleur et pour le pire, fidèles l’un à l’autre… » prononcé devant Dieu et les hommes. Il offrait solidité et protection sur la durée à la cellule de base à une époque où les grandes institutions sociales (sécurité sociale etc...) n’existaient pas. Les femmes qui n’avaient pas d’activité professionnelle rémunérée, y trouvaient la sécurité matérielle et morale. La famille étant par ailleurs la cellule de production de base d’un pays à dominante agricole, il fallait en étayer les fondements. Cette déclaration d’engagement permettait un taux de séparations faible, ne donnait aucune garantie contre le malheur et s’accommodait des manquements à la règle à condition qu’ils restent cachés.
Le petit Robert définit l’acte de s’engager de la façon suivante « Se lier par une promesse ou une convention qui devient une obligation ». Le couple était donc soudé par cette obligation et au mieux, par les sentiments, qui étaient jugés à cette époque trop friables et changeants pour permettre à eux seuls de fonder une institution aussi essentielle. L’engagement était enfermé dans des formules sacramentelles que les époux devaient prononcer à la mairie, à l’église sans pouvoir en changer grand -chose. Il était moins le résultat d’une réflexion approfondie sur son sens et ses conséquences que l’accomplissement d’un geste obligé. Cette obligation n’était pourtant pas nécessairement vécue comme contraignante car elle était l’expression d’une coutume très ancienne qui consacrait formellement une promesse de bonheur. Notons une connotation militaire à cet impératif : « engagez-vous » qui illustrait bien le caractère périlleux de la démarche maritale et la forte tutelle qui s’exerçait sur elle. Il résulte de cette rigidité et de ce formalisme que cet engagement était autant l’affirmation d’un contrôle social sur le couple que la libre expression de deux volontés personnelles. C’est cet aspect de l’engagement qui est tout particulièrement rejeté par les jeunes épris de liberté.
Cette conception était en phase avec une société régie par le principe de verticalité et qui possédait le sens du temps. Dieu régnait au sommet d’une pyramide, suivi des saints, des autorités religieuses et civiles puis de l’homme, chef de famille. Cette organisation qui fonctionnait de haut en bas secrétait des règles peu contestées en dehors des périodes révolutionnaires, à l’abri des lobbies, des médias, des réseaux et de la diffusion d’une information pléthorique et non hiérarchisée que nous connaissons aujourd’hui. Elle permettait à la société et à ses membres de s’accomplir et de transmettre valeurs et patrimoine dans la durée. Cette société hiérarchisée et rurale qui vivait dans une grande stabilité entre deux conflits militaires a progressivement disparu à partir de 1945.
A compter de cette date un mode horizontal de fonctionnement va progressivement se substituer au mode vertical. Des évolutions bien connues illustrent ce phénomène : apparition d’une solidarité à grande échelle grâce à la sécurité sociale, développement des échanges interpersonnels et de la mobilité, accélération du mouvement de déchristianisation et contestation des valeurs traditionnelles sur fond de pensée relativiste, développement d’internet et du fonctionnement en réseau, culte de l’instant et du « zapping » qui s’est étendu de la télévision aux relations et aux activités, libération des mœurs, dilution des hiérarchies. Cette horizontalisation des valeurs et des pratiques sociales a eu une incidence forte sur la valeur de l’engagement : pourquoi promettre de se lier pour la vie alors que celle-ci multiplie les rencontres et les possibilités de bonheur, assimile changement et progrès et ne croit plus en l’avenir condamné par le chômage et les catastrophes climatiques . Dans ce contexte, le « pire » n’est-il pas parfois de rester ensemble ? La contraception et le travail des femmes ont par ailleurs fait disparaitre deux fondements du mariage qui assuraient leur sécurité matérielle et couvraient les risques liés à une maternité non désirée. Le sentiment, en phase avec une société de plus en plus hédoniste, devint ainsi le socle unique sur lequel il convenai de construire le couple. Toutefois l’engagement classique reste une pratique bien vivante chez les segments les plus traditionnels de la société même si elle n’est plus une référence largement partagée.
Il est vain d’essayer de revenir à la conception traditionnelle de l’engagement perçu par les nouvelles générations comme un impératif social et une restriction inutile de la liberté. Tentons de le refonder en respectant les valeurs des jeunes que sont : la liberté et la priorité au sentiment vécu dans l’authenticité. Il est à redéfinir sur une base plus interpersonnelle en tant qu’allié de ces valeurs et non en tant qu’ennemi. Allié du sentiment tout d’abord qu’il peut nourrir et développer : le sentiment amoureux a besoin d’admiration et de respect pour se maintenir sur la durée. Or l’engagement implique droiture, courage, loyauté qui sont source d’admiration et donc d’amour. Il est aussi la mémoire des sentiments réellement éprouvés, et peut venir à la rescousse lorsque ceux-ci semblent fléchir.
L’engagement peut-il aussi être l’allié de la liberté et de l’authenticité ? En premier lieu les formules prononcées à l’église et la mairie devraient devenir facultatives, librement formulées par les époux. La phase de préparation au mariage qui demeure diffuse et souvent superficielle devrait approfondir la réflexion sur le sujet. En effet le sens de l’engagement est d’une faible utilité quand tout se passe bien. Il est en revanche nécessaire en cas de difficultés, lassitude persistante au sein du couple, crise familiale. Affronter une tempête sans dommage suppose un savoir-faire de l’équipage. La traversée de l’existence comporte des périls qu’on ne peut surmonter sans s’y préparer et se faire aider. La résolution des crises, le partage du combat, et la fierté qu’on en tire apportent un renouvellement et une nouvelle dimension aux sentiments. Ainsi engagement et sentiment ne sont pas antinomiques ni même adversaires mais peuvent être des alliés qui se nourrissent l’un de l’autre.
Les études récentes montrent enfin une certaine revalorisation de la famille comme source de solidarité et de protection, à une époque où les grandes institutions sociales (sécurité sociale, assurance chômage, vieillesse…) sont perçues comme fragilisées par les contraintes budgétaires, les exigences de l’économie. Cette évolution du regard sur la famille est en phase avec une refondation de l’engagement. Les deux peuvent s’enrichir mutuellement : si nous aimons la famille, il faut bien qu’elle existe dans la durée.
L’engagement dans le couple reste donc une valeur en soi, mais toute à refonder. A ce sujet les couples qui vivent heureux ensemble depuis longtemps ont beaucoup à nous dire.