LE CAPITALISME : LE CRITIQUER OU LE REFORMER?
Le communisme a échoué lamentablement. Il a saigné à blanc, au sens propre et au sens figuré, les peuples qui y ont été soumis. Ses crimes restent aujourd’hui largement impunis, ses criminels sont au pouvoir. Parmi les effets indésirables de cet épisode calamiteux de l’histoire humaine, il ne faut pas négliger le fait qu’en France comme dans d’autres pays occidentaux, le communisme a rendu difficile, à son époque, une critique audible du capitalisme ; ce dernier est maintenant devenu son concurrent triomphant, et ses graves défauts se sont largement accentués.
Nous le savons tous aujourd’hui, le capitalisme est hautement critiquable. Devenu financier et mondialisé, il pourrait devenir tout aussi calamiteux. Pourquoi ? Je ne suis pas en mesure de reprendre ici toutes les démonstrations qui ont été faites, y compris récemment par les grandes agences internationales comme le FMI ou l’OCDE, de ses conséquences sur l’inégalité entre les citoyens, sur l’exploitation des classes et des pays pauvres, comme sur la surexploitation des ressources naturelles de la planète, la famine et l’obésité. Le capitalisme tel qu’il est pratiqué aujourd’hui donne à l’investisseur tous les pouvoirs et le place en situation d’abus de pouvoir. L’intérêt financier se place logiquement au premier rang des objectifs de l’entreprise, voire même dans certains cas comme son unique objectif.
Or l’investisseur n’est que l’une des parties prenantes de l’entreprise. Une autre partie prenante majeure est constituée par les travailleurs, représentés par leurs syndicats, et d’autres acteurs sont en lien de dépendance réciproque avec elle : les clients ou consommateurs, les banques, fournisseurs et sous-traitants, les services publics, les autorités locales et nationales. Le « capitalisme rhénan » en vogue dans les années 80, théorisé dans les années 90 par Michel Albert montrait la voie d’un capitalisme de partenaires, orienté vers l’autofinancement et le développement de l’activité plus que vers la distribution de dividendes aux actionnaires. Aujourd’hui les grandes entreprises ne créent pas d’emploi, ce sont les PME qui le font, avant d’être rachetées par les grandes.
Les aspects culturels du partage de l’argent sont majeurs : Ainsi, en France, on oblige les parents à léguer la majeure part de leurs biens à leurs enfants, prenant en compte leur responsabilité dans le devenir de ceux-ci, telle n’est pas la situation chez les anglo-saxons, où celui qui a l’argent est le maitre : il décide librement de ses héritiers. Autre exemple, en Europe, les réalisateurs de films ont le « final cut » ils décident de l’arrangement final de « leur » film, à Hollywood le producteur « payeur » est le maître. De même, le capitalisme – investissement massif et production de masse – pourrait fonctionner en répartissant différemment les profits, il n’est pas « évident » que ceux-ci soient d’emblée la propriété des investisseurs, de ceux qui apportent l’argent.
La mondialisation accrue de l’économie au tournant des années 2000 a ajouté à ce schéma de l’investisseur tout puissant les méfaits de l’ignorance des particularismes locaux, historiques et culturels mais aussi en termes d’organisation des sociétés.
L’injustice ressentie par les laissés pour compte du chômage, qui amène pauvreté et exclusion, ou même de la maltraitance au travail qui se développe, se double alors d’un sentiment de perte d’identité. C’est ici que les calamités peuvent commencer : larges succès électoraux de l’extrême droite, ou dans une moindre mesure de l’extrême gauche (notamment en Amérique latine), revendications identitaires, appauvrissement des Etats et affaiblissement de l’organisation sociétale, pauvreté- exclusion, peur de l’émigration : Brexit, Autriche, Catalogne, Ecosse, Corse…
Il est urgent de reprendre la réflexion dite « d’économie politique » et d’analyser l’impact politique des choix économiques. Le marché, l’investissement restent les fondamentaux du développement de l’économie, mais de sérieux amendements au capitalisme et à la mondialisation doivent être débattus.
En France, la quasi disparition des syndicats – et surtout des syndiqués - dans l’entreprise privée (9% des salariés, surtout dans les très grandes entreprises) est un fait majeur qu’il faut d’urgence traiter.
Les multiples causes du chômage, son coût, pris en charge par l’Etat, méritent davantage d’analyses. D’autres formes non capitalistes de développement de l’activité privée, viables et intéressantes économiquement, existent et se développent : l’économie sociale de marché inclut l’économie mutualiste, solidaire, l’économie circulaire, mixte, locale, le micro-crédit etc…il appartient aux autorités locales et nationales de les encourager, y compris comme une arme contre le chômage.
L’organisation capitalistique de l’alimentation au niveau mondial est-elle satisfaisante au vu des résultats en termes de santé et de suffisance alimentaire ? Serons-nous toujours obligés de manger des céréales – production de masse à fort retour sur investissement - au lieu de manger des fruits et légumes frais, production locale à faible rentabilité ?
Critiquons le capitalisme de manière concrète, nuancée, car il est possible, à l’échelle de l’Europe, de le réformer, ou de le remplacer lorsque c’est préférable.
Martine FRAGER BERLET