Un prêtre marié de Jules Barbey
Jules Barbey d’Aurevilly fait partie de cette cohorte talentueuse des écrivains du 19 è siècle (Octave Mirbeau, Léon Bloy, Huysmans …) qui ont écrit à l’ombre des très grands chênes que sont Hugo, Zola, Flaubert etc. Ceux-ci ont capté la gloire littéraire et leur ont fermé l’accès à la postérité qu’ils méritaient.
Le roman français a connu son apogée au 19 è siècle en réussissant à s’affranchir du poids de la religion et des débats d’idées du 18 è siècle avant d’être quelque peu dévitalisé par le cinéma et la psychanalyse au 20 è siècle. Mais ceci un autre sujet. Barbey fut donc un de ces « petits maîtres » qui eurent un destin immérité.
Plantons le décor du livre :
Sombreval est un prêtre défroqué, marié devenu veuf et père d’une fille, Calixte, victime d’une inguérissable névrose extatique. Le silence et l’opprobre rodent autour du château normand où ils vivent dans le scandale. La Malgaigne et la Gamase, deux sorcières locales aux noms choisis leur jettent des sorts et hantent les lieux. Neel, jeune hobereau, tombe amoureux de Calixte qui se refuse à lui car elle est entrée en secret au couvent, seule réponse au drame de sa naissance. Neel quant à lui, a déjà été promis à Bernardine par accord entre leurs deux familles. Racine n’est pas très loin… La déchéance de Sombreval aggrave la maladie de Calixte. Neel précipite sa calèche au grand galop sur le perron de Calixte au risque se de tuer pour la convaincre de l’aimer. Il offre sa vie en échange de son amour.
Les personnages se croisent sur le fil d’un rasoir entre la vie et la mort, l’amour humain et l’amour divin. Chacun cherche sa rédemption et celle des autres dans la souffrance. Où trouveront –ils leur salut ?.
La trame secrète du récit est imprégnée d’un érotisme latent : la volupté est présente dans le supplice, l’offrande des corps se cache derrière le don des âmes. Les passions terrestres se dévoilent derrière une mystique bien huilée. Les sentiments extrêmes s’exacerbent au fil des pages dans une atmosphère fantastique qui est une des marques du génie de Barbey. Ce paroxysme des situations et des sentiments, la problématique religieuse qui sous-tend ce livre nous sont devenues étrangères. Le livre est parfois difficile car la question du mariage des prêtres a évolué, le romantisme échevelé n’est plus de saison.
Le style de Barbey fluctue entre le brio et une boursoufflure qui fait sourire, mais il vous prend dans ses rets avec sa puissance romanesque et son extravagance rare. La scène finale, qu’on ne peut comprendre en sautant les pages, est un morceau d’anthologie inoubliable. Barbey a inventé un nouveau genre littéraire : le thriller mystique !
Ceux qui passeront leur chemin ou s’arrêteront en cours de route seront excusés et ceux qui iront au bout seront récompensés de leur vaillance par la fréquentation du génie. Barbey est un alcool fort. Peut- être faut-il se faire le palais en lisant d’abord « Le Chevalier Des Touches » ou « l’Ensorcelée », des grands crus moins relevés. EB
Collection Folio classique 450 p